“Je reprends le fil de mes pensées, et me dépêche, je dois aller voir les préparations de la Grande Prêtresse. Avec Qutzi, nous nous dirigeons dans l’enceinte réservée aux femmes. Tout le monde me salue et j’arrive dans la pièce. Elle est debout, ses longs cheveux brun tressés qui tombent sur sa poitrine. Elle est vêtue d’une longue robe blanche dans un tissu très fin. Des petites prêtresses finissent de coudre les détails sur sa robe. Je l’inspecte de haut en bas, devant et derrière, elle doit être parfaite pour la cérémonie. C’est l’incarnation de la déesse sur Terre. Nous échangeons un regard complice mais ne parlons pas. En réalité, nous parlons très peu quand il y a du monde autour de nous. Il y a encore plein de maïs dans la pièce et des servantes et des prêtresses s’affairent tout autour de nous. Il nous faut répéter la cérémonie quelques jours avant le jour J pour que tout soit prêt. Nous sommes chargées de prédire les grands événements de l’année à venir, en plus des récoltes. Pour cela, la Grande Prêtresse et moi devons suivre une hygiène de vie stricte pendant plusieurs jours avant la cérémonie.
Je quitte la pièce pour vaquer à d’autres tâches. Le temps nous est compté, je le sais, mais je ne l’accepte pas. Notre Roi le sait également. Mais que faire ? C’est notre pays, notre terre.
Quelques années plus tard, notre relation avec l’Étranger se distend. Nous nous disputons pour les mêmes choses. Il veut que nous nous enfuyions loin de la cité pour vivre tous les deux et construire une famille. Il sait que les autres Étrangers n’épargneront personne parmi mon peuple. Je suis contre, je dis qu’il ne comprend pas ma position, je ne peux pas quitter mon pays, mes sœurs de cœur en connaissant leur sort funeste. Jamais je n’accepterai et je mourrai avec fierté pour mon pays. Je suis prête à m’ôter la vie, la mort ne m’effraie pas. Il ne comprend pas, et me dit que mon amour est vain, que je le trahis, que je ne l’ai jamais aimé, que je me suis jouée de lui et de ses sentiments. Il me hait. Je dois le laisser partir.
Les autres Étrangers se rapprochent dangereusement de la cité selon nos éclaireurs. Ils sont à 3 jours de marche. J’ai peur. L’Étranger est parti, je ne sais pas où. Je regrette tout. Je décide de laisser Qutzi dans la jungle, je ne supporterai pas de la voir blessée ou tuée s’il y a un massacre. La Grande Prêtresse est calme. Elle connaît l’issue du futur, comme moi.
Le chef des Étrangers arrive dans la cité. Il veut nous tuer, mais garder les femmes des élites et quelques prêtres masculins. Nous sommes des sorcières à ses yeux, il ne comprend pas notre rang ou notre fonction. Nous sommes faites prisonnières devant la foule d’Étrangers, et dans la foule, je vois ses grands yeux bruns qui me regardent interdits. Il sait ce que nous allons faire.
Nous étions enfermées dans une des salles du temple. Toutes les femmes du temple, de la pyramide les unes sur les autres. Je leur propose une solution honorifique : mettre fin à nos vies par nous-mêmes. Elles acceptent toutes. J’ai les plantes qu’il faut. Je les regarde prendre le poison une à une, car j’ai besoin de savoir qu’aucune d’elles ne souffrira après moi. Je regarde la cuisinière que je détestais tant, convulser et fermer les yeux. Nous nous reverrons. La Grande Prêtresse boit le poison. Nous nous prenons dans les bras, nous savons que nous allons de toute façon nous revoir dans une prochaine vie. C’est mon tour. Je bois le poison, pense à l’Étranger une dernière fois, et ferme les yeux pour plonger dans un sommeil profond.
Quant à lui, il n’a pas supporté le massacre de notre civilisation, et ma mort. Il a fui, seul, et abandonné son frère. Il a recherché en vain Qutzi pendant quelques semaines, c’était la seule chose tangible qui le ramenait à moi. Il avait tout perdu encore une fois, il n’avait plus aucune foi ou raison de vivre. Il a rejoint des villages peuplés d’autres étrangers et s’est mis à boire et à jouer. Il voulait trouver une façon de fuir le désastre et le massacre auquel il avait assisté. Il est mort dans la jungle, seul alors qu’il cherchait à atteindre un autre village.
Ces mêmes yeux verts me regardent, cachés dans les feuillages. Je sais qu’il est l’heure pour moi de repartir vers un autre voyage.”
Sources
Le rang des prêtresses et leur fonction
Les femmes prêtres (siouatlamakaski). En portant ce titre, la femme fait vœu de célibat. Toutefois, elle peut avoir l’occasion de se marier, si les familles sont d’accord entre elles, mais beaucoup préfèrent se consacrer à leurs vœux de prêtrise.
Souvent les prêtresses rendaient de services. La célébration en l’honneur de la grande déesse Toshi était dirigé par une femme, Sihuacuacilli. Une autre prêtresse était également en charge des cérémonies, Itztaxihuatl (ou “femme blanche”), responsable du côté matériel de la préparation de certaines cérémonies, notamment le nettoyage des lieux saints et l’allumage des feux. Durant le mois d’”ochpanitzli”, les jeunes prêtresses de la Déesse du maïs ont joué le rôle le plus important dans les fêtes religieuses.
La fête religieuse en question La deuxième fête la plus importante chez les Aztèques, qui correspondait au douzième mois appelé “ochpaniztli”. Elle marque la saison des pluies, quand le maïs atteint sa maturité et peut commencer à être récolté.
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